Mariage précoce : Filles mariées trop tôt, filles privées de scolarité

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Le rapport 2018 de l’UNICEF révèle que 49% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans au Mali. Dans la Région de Ségou, elles sont au nombre de 12%. La pratique a la vie dure et elle oppose modernistes et traditionalistes. Pour les premiers, c’est une violence faite aux filles. Les seconds la considèrent plutôt comme une gloire pour les filles.

Fatoumata Ousmane est mère de trois filles et un garçon. Elle est mariée depuis l’âge de 15 ans. Lorsqu’elle se mariait, elle faisait la huitième année et était toujours soit première soit deuxième de sa classe. C’était en 2002. « J’étais d’accord avec le mariage sinon ça n’aurait jamais lieu. Mais en réalité, j’ai regretté. Pas parce que je suis maltraitée, mais parce que mes camarades qui brillaient moins que moi ont réussi et moi pas. Aujourd’hui, tout ce que mon mari ne me donne pas, je ne peux pas l’avoir par moi-même », témoigne celle qui a aujourd’hui la trentaine.

Les propos de Fatoumata sont confirmés par son directeur d’école de l’époque. « C’était une fille très brillante en classe. Elle était calme et apprenait bien ses leçons. Fatoumata Ousmane était toujours soit première soit deuxième de sa classe », se souvient l’enseignant.

N’ayant pu reprendre les études après son mariage, Fatoumata aspire à voler de ses propres ailes d’une autre manière. « Je désirais reprendre les études mais mon âge et la mentalité de mes concitoyens ne me permettent plus de le faire. Maintenant, je désire ouvrir un salon de coiffure », confie-t-elle.

Le cas de Fatoumata n’est pas isolé dans la Région de Ségou. Selon le rapport 2018 de l’UNICEF, 49% des filles sont mariées avant l’âge de 18 au Mali. Elles sont au nombre de 12% dans la Région de Ségou.

Le mariage précoce des filles n’est guère une situation réjouissante, selon Djibril Sissoko, directeur de l’école fondamentale second cycle Fa Keita. Cet éducateur estime que la pratique freine la scolarisation et bafoue le droit de l’enfant. Il évoque avec tristesse les cas de deux filles de son établissement qui ont été contraintes d’abandonner les études cette année parce que leurs parents avaient décidé de les donner en mariage malgré leur jeune âge. « Chaque année, des filles abandonnent les études en raison du mariage ou des grossesses non désirées. Nous redonnons à ces jeunes mamans la chance de poursuivre leurs études. Certaines sont animées de beaucoup de volonté. Mais elles se retrouvent sur les bancs avec leurs petites sœurs ou petits frères. Cela les décourage et elles finissent par abandonner complètement », explique le directeur d’école.

Le mariage précoce des filles est généralement caractérisé par la pratique de l’endogamie. Certaines ethnies du Mali préfèrent le mariage entre cousins et cousines. Les jeunes filles et garçons, souvent de la même famille, se marient. Et en général, ils sont mariés très jeunes par la volonté des parents, soucieux de raffermir les liens de parenté et de se conformer aux pratiques traditionnelles qui recommandent de donner une fille en mariage dès la puberté. Dans trois écoles fondamentales différentes à Ségou, nous avons rencontré six filles qui sont toutes promises à des cousins ou à des proches de leurs parents.

En plus de les empêcher de poursuivre leurs études qui leur ouvriraient les portes de l’emploi et de l’autonomie financière, le mariage précoce a des conséquences graves sur la santé des jeunes filles. Dr Mahamadou Traoré, de la clinique Ami Diakité, attire l’attention sur les dangers que courent les jeunes filles qui se marient trop tôt. Selon le praticien, si les jeunes mariées attrapent des grossesses, l’accouchement est difficile car leurs corps ne sont pas arrivés à maturité. Au cours des accouchements longs et douloureux, elles s’exposent à des déchirures vaginales et/ou anales. Ces déchirures provoquent la fistule dont la conséquence est l’incontinence urinaire. La matière fécale s’échappe souvent par les parties intimes de certaines femmes atteintes par la fistule. Les femmes fistuleuses sont pour plupart abandonnées par leurs maris et rejetées par la société. Du fait de cette marginalisation, il y en a qui sombrent dans la dépression et même deviennent des déséquilibrées mentales.

Obstacles majeurs

Ces perspectives sombres qui guettent les filles données en mariage trop tôt ne semblent pas émouvoir l’imam d’une mosquée de Ségou. Lors d’un sermon du vendredi, le religieux dont nous taisons le nom, a laissé entendre que les termes Violence basée sur le genre (VBG) et autres ne sont que des inventions des Occidentaux et qui n’ont rien à voir avec les réalités maliennes. « Le mariage précoce n’est pas une violence pour nous. Au contraire, c’est une gloire. Quand une fille est mariée tous ses péchés sont effacés. Quand elle s’offre à son mari, c’est une aumône. Quand elle tombe enceinte, les anges la bénissent. Le jour ou la nuit de son accouchement, sa tombe et toutes les portes du paradis sont ouvertes pour elle. Si elle meurt, elle ira directement au paradis », a soutenu l’imam, citant en appui de ses propos un Hadith rapporté par Abou Daoud (3111) : « O vous les jeunes ! Quiconque parmi vous est en mesure d’assumer les charges du mariage, alors qu’il se marie. Certes le mariage est plus apte à faire baisser le regard et à préserver la chasteté ». Le religieux a assuré que ce Hadith a été rapporté par Al Bukhari et Mouslim, deux ouvrages qui font autorité.

Le poids de la tradition et de la religion constitue l’un des obstacles majeurs à la lutte contre le mariage précoce au Mali. Dans le Code des personnes et de la famille, voté en août 2009, l’âge minimum du mariage pour les filles était fixé à 18 ans. Suite aux protestations des religieux musulmans, le Code des personnes et de la famille adopté en 2011 a ramené l’âge minimum des filles à 16 ans pour le mariage. « Dans les arsenaux juridiques maliens, l’âge du mariage des filles est en contradiction avec celui des textes internationaux ratifiés par le Mali», a déploré Néné Dolo, ambassadrice des droits de la femme à l’ONG Justice, Prévention et Réconciliation – JUPREC. C’était lors d’un atelier tenu récemment à Ségou sur les Violences basées sur le genre. Néné Dolo précisera que dans tous les instruments régionaux et internationaux ratifiés par le Mali, l’âge du mariage est au minimum 18 ans pour les filles. Elle n’a pas manqué de rappeler ces textes : la Charte des Nations des Nations Unies (1945), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), le Protocole facultatif à la convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes (1999), la Convention relative au droit de l’enfant (1989).

Le tout n’est pas de voter des lois et de signer les conventions internationales. L’Etat doit se donner les moyens de les appliquer. Il y va de sa crédibilité.

Aly Ousmane SARRE

lemalien.com

 

 

 

 

 

 

 

 

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