BOUBOU CISSE A PROPOS DE L’ECOLE MALIENNE « 65% des ressources de ce secteur vont dans la prise en charge des salaires »

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Le vrai combat de l’école, aujourd’hui, c’est celui de la qualité. Cela est reconnu par tous aussi bien à travers les indicateurs nationaux comme le taux de réussite au DEF, au bac et le taux d’échec en première année d’université parce que les bacheliers reçus n’ont pas le niveau que dans les indicateurs comparatifs au niveau international.

L’éducation, selon le ministre, est le secteur qui reçoit l’allocation budgétaire la plus importante et qui augmente constamment parce qu’il y a un rattrapage à faire pour atteindre la scolarisation universelle et tenir compte de la croissance démographique. Mais ces pourcentages d’amélioraiton en taux d’accès sont de peu d’intérêt si les enfants n’apprennent rien. L’allocation ne privilégie pas la qualité parce que le plus gros pourcentage est alloué aux salaires et qu’il ne reste pas grand-chose pour les intrants pédagogiques tels que les bibliothèques, les équipements scientifiques et consommables, l’outil informatique, la formation et la mise à jour des enseignants, les investissements pour rapprocher les lieux d’apprentissage des populations que des conditions d’hygiène et de santé des élèves (latrines, points d’eau, etc). Le budget alloué à l’éducation est géré à 95% par les collectivités décentralisées et les unités décentralisées.

Dans son adresse aux députés, le Ministre de l’économie et des Finances, faits, chiffres et études à l’appui, a dit aux députés les maux de notre école. Une situation qui hérisse les poils !

L’interpellation du gouvernement à l’Assemblée Nationale, le jeudi 04 avril 2019, sur la grève des enseignants a été l’occasion pour le Ministre d’étaler devant la représentation nationale les maux de l’école malienne. Ainsi, malgré le fait que 33% des dépenses courantes de l’Etat vont à l’éducation, notre école se caractérise par une mauvaise qualité de l’apprentissage ayant pour conséquence le faible niveau des élèves.

Pour le ministre, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’Etat ont bénéficié et exécuté les 95 % de ce budget. « Le secteur doit se pencher sur la problématique des transferts de compétences et financiers du secteur ».

« Il ne faut pas que l’on se trompe de problème, ni de combat : il faut que les ressources qui sont allouées à ce secteur se transforment en résultat en termes d’apprentissage et de compétence acquis » dit le Dr. Boubou Cissé.

« Observez : sur les 20 dernières années, tous nos plans quinquennaux ont toujours fait ressortir, parmi les 4 ou 5 axes stratégiques sur lesquels le gouvernement souhaite se vocaliser, le secteur de l’Education et le Capital Humain de façon générale. Le plan quinquennal que nous sommes en train de valider pour 2019-2023, qui est le CREED II, a repris la même chose sur le plan de politique publique et de stratégie de développement : le capital humain et en particulier le secteur de l’éducation. C’est pour dire comment ce secteur est important pour le gouvernement et cette importance a été toujours traduite dans le budget », a ajouté Dr Boubou Cissé, avant d’enchainer, « Cette auguste assemblée est la mieux placée pour savoir, d’un point de vue budgétaire, l’importance des ressources qui ont été accordées au secteur de l’éducation, au moins sur la base des cinq dernières années pour lesquelles vous avez voté les différentes lois de finances sous les différents gouvernements que Président de la République a mis en place depuis son arrivée au pouvoir » a déclaré le ministre de l’économie et des finances dans ses propos préliminaires.

Selon le Dr Boubou Cissé, le secteur de l’éducation est le secteur qui coûte le plus au Budget de l’Etat ; plus que le secteur de la Sécurité ou de la Défense malgré la crise dans laquelle le pays se trouve.

« Quand vous regardez les années 2018 et 2019, qui sont les budgets les plus récents, le secteur de l’Education a toujours représenté au minimum 15% du Budget de l’Etat. Nous étions à 300 milliards FCFA à peu près en 2018 et nous sommes à 352 milliards de FCFA en 2019 : soit exactement 15,56 % du budget d’Etat. Le secteur de l’Education c’est 33 % des dépenses courantes totales de l’Etat. Il n’y a pas un département dans la structure gouvernementale actuelle ou un secteur qui arrive à ce niveau d’allocation budgétaire, malgré les crises auxquelles nous sommes confrontées : crise sécuritaire, terrorisme. Si vous combinez la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, le secteur de la Sécurité et le secteur de la Défense, c’est seulement à ce moment-là que vous arriverez à 22 % du budget d’Etat : sinon si vous cloisonnez secteur par secteur il n’y a pas un seul département qui arrive à ce niveau d’allocation budgétaire. Il s’agit donc d’une priorité évidente pour le gouvernement. Cette priorité s’est toujours traduite par une allocation très importante des crédits budgétaires. Sur ce budget, les 80% sont exécutés par le Ministère de l’Education Nationale, c’est à dire les deux cycles auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui : l’école fondamentale et le cycle de l’enseignement secondaire. Et sur la totalité de ce budget, les 95 % sont exécutés par les collectivités territoriales et les services déconcentrés. Donc tout se passe au niveau des collectivités territoriales et des services déconcentrés. Seulement 4% sont exécutés au niveau central. Donc le problème du transfert de ressources humaines ou financières ne se pose pas. »

L’une des priorités selon le Ministre de l’Economie et des Finances, est de réfléchir à l’amélioration de la qualité de l’apprentissage et des résultats dans le secteur au regard des importants moyens engagés par l’Etat.

«Je pense que le problème qui se pose aujourd’hui est de voir comment transformer ces importants moyens, qui sont alloués au secteur de l’éducation, en des résultats d’apprentissage. Car, malgré les moyens que nous allouons à ce secteur, ils ne sont pas transformés en des résultats d’apprentissage. Et malheureusement, je ne pense pas que le fait d’aller vers une augmentation des salaires et de primes d’indemnités comme les enseignants demandent corrigera ce problème de manque de résultat d’apprentissage des élèves dans ces deux cycles là. Ce n’est pas en augmentant ces primes et indemnités que nous arriverons à ces résultats alors que c’est cela le vrai problème ».

Pour le ministre, dans la sous-région, le Mali est parmi les pays qui dépensent les plus par élève dans ce secteur de l’Education. Et sans toutefois avoir les résultats ! En 2018, la communauté internationale a publié un indicateur composite appelé « Indice du Capital Humain » qui classe les pays en fonction des attentes en termes de compétences acquises dans ces deux cycles jusqu’au lycée. Sur les 12 années d’apprentissages, de la 1ère année jusqu’au Bac. Le Mali a moins de 5. Cela veut dire que sur les 12 années d’apprentissage qu’un élève malien est supposé avoir acquis en termes de compétence au Bac, il ne sort qu’avec l’équivalent de 4,5 années. Et quand vous corrigez cet indicateur, vous l’ajustez sur la qualité, cela tombe à 2,8 ans. Cela veut dire que sur 12 années d’apprentissage, nos élèves n’auront appris que 2,8 ans en termes de compétence. C’est là que se situe le gros souci au niveau de notre pays. Et honnêtement je ne pense pas que ça soit lié à un manque de ressources alloués à ce secteur. Sur les dépenses indiquées, 65 % sont les charges du personnel. Aujourd’hui, la masse salariale prend pratiquement la totalité des allocations faites au secteur. Nous devons inverser cette tendance et mettre plus de crédit dans l’investissement. Il n’est pas normal que les dépenses courantes soient à 65 % alors que les dépenses en capital pour les constructions d’écoles, de salles de classe, l’achat de matériels didactiques, d’intrants pédagogiques soient à l’équivalent de 20 à 25% : c’est cela qu’il va falloir changer pour que les résultats en matière d’apprentissage soient au rendez-vous. Et on ne pourra pas changer cela si on continue à augmenter le niveau des indemnités et des primes qui nous sont demandées »

Le Ministre a rappelé que le niveau de revendication salariale des enseignants ne peut être supporté par l’Etat au risque de ne pouvoir payer les salaires de l’ensemble des fonctionnaires. Pire, à son avis, certaines primes réclamées n’existent même pas dans la nomenclature des primes au Mali.

« Notre rôle est de répondre à des revendications sociales mais il faut que nous puissions répondre en évitant de poser d’autres problèmes. Il faut que nous puissions répondre en assurant que les grands équilibres financiers continuent à être maintenus. Nous sommes dans un monde, en particulier dans un pays dont les ressources sont très limitées face à des besoins illimités. C’est notre rôle au Ministère de l’Economie et des Finances de faire des arbitrages. Si on répond à ce qui est demandé aujourd’hui, demain on ne paye pas de salaires pour l’ensemble des fonctionnaires de l’Etat. Ce serait mentir aux uns et autres de dire que nous pouvons le faire. On nous demande des choses, objectivement, difficiles à satisfaire».

Selon l’article 17 de la Loi relative au droit de grève : « l’absence de service fait donne lieu à une retenue du traitement ou de salaire et de ses compléments autres les suppléments pour charges de famille ».

« Nous avons effectivement procédé à une retenue sur les salaires. J’ai entendu d’autres mots ici : «saisie », « suspension »…c’est une retenue à ne pas confondre avec une saisie ou une suspension. Nous avons essayé dans la mesure du possible, procédé à cette retenue conformément aux dispositions réglementaires qui existent à la matière dans notre pays. Effectivement il ne faut pas toucher aux allocations familiales. Lorsque le problème s’est posé, j’ai demandé à ce que l’on vérifie et nous sommes en train de vérifier. Si nous avons touché aux allocations familiales, cela sera remboursé. Le salaire est une contrepartie d’une prestation et la loi l’encadre. En tant que Ministre de l’Economie et des Finances, je suis obligé de faire respecter cela car il s’agit aussi de la loi de finances.»

Selon le Ministre de l’Economie et des Finances, le véritable combat demeurera l’amélioration de la qualité de l’enseignement et non l’augmentation salariale. «Il ne faut pas que l’on se trompe de problème, ni de combat : il faut que les ressources qui sont allouées à ce secteur se transforment en résultat en termes d’apprentissage et de compétence acquis. On n’y est pas encore aujourd’hui.

L’Education Nationale a fait une évaluation du type PASEC ou EGRA : il est dit que 90% de nos élèves qui arrivent en fin de cycle 2 n’ont pas le niveau requis. Ce sont ces mêmes chiffres qui sont transmis dans les résultats des examens nationaux. Si pour un examen comme le DEF on est obligé d’aller prendre des élèves qui ont 7,7/20 de moyenne général alors que le minimum requis devrait leur faire obtenir 10/20, il y a un problème ! Si vous extrapolez cela sur les autres examens, cela veut dire que 80% de nos élèves n’ont pas le niveau. C’est cela le vrai problème et c’est là où il faut se battre pour que la qualité revienne, pour que les gens puissent apprendre réellement. Ce n’est pas dans l’augmentation des primes ou des indemnités ! Les mêmes évaluations ont dit que 90% de nos établissements publics n’ont pas de bibliothèques. Comment voulez-vous que l’élève apprenne ? Il n’y a pas de latrines, il n’y a pas de points d’eau c’est affolant. On est déjà à 65% des dépenses courantes du secteur de l’Education. 65% des ressources de ce secteur vont dans la prise en charge des salaires. Faut-il amener cela à 80% pendant que le minimum requis au niveau des établissements publics en termes de latrines, bibliothèques, points d’eau, tableaux n’y est pas ? On continuera à payer nos enseignants mais la connaissance qui est recherchée n’y sera jamais et je pense que c’est cela le vrai débat et le vrai combat à avoir aujourd’hui. Sur cela le gouvernement est prêt à ouvrir un dialogue avec les enseignants car je suppose que c’est ce qu’eux aussi recherchent : être dans un environnement décent qui leur permet de dispenser un enseignement de qualité qui permettra de développer de vraies compétences et de vraies connaissances pour les élèves…ce qui n’est pas le cas aujourd’hui!» termine le Ministre.

 

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